Le zonage en aménagement et ses effets
Il y a cent ans, la zone n’était encore qu’une bande étroite de la surface d’une sphère,
comme la surface de la terre délimitée par deux parallèles, avec, comme seule extension
de sens, la zone des servitudes qui ceinturait une fortification. En un siècle, la chose
militaire s’est considérablement civilisée (dans ce domaine comme dans d’autres, la
poliorcétique est la mère de l’aménagement urbain), et l’on a zoné à foison. Les entrées
de la lettre Z du dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement (Merlin & Choay,
1996) sont intégralement constituées du mot zone et de ses dérivés, et la liste est loin
d’être exhaustive. Dans le même temps sous l’influence du zoning anglo-saxon
(largement réinterprété à la mode française au demeurant), est né une doctrine propre à
l’urbanisme et à la planification urbaine, le zonage, dont la fortune fut vive mais somme
toute assez brève.
Le réquisitoire contre le zonage repose en grande partie sur la
confusion qui est faite entre la doctrine et les pratiques : le zonage, identifié à la
spécialisation fonctionnelle de l’espace, en particulier urbain, et à ses nombreux travers,
est unanimement vilipendé depuis au moins un quart de siècle, alors que les pratiques
du zonage, qui sont souvent très loin de la doctrine, perdurent, voire prolifèrent, mais
de façon presque honteuse.
Dans un des rares articles de référence sur le zonage, judicieusement intitulé «le zoning
ou la nuit transfigurée », Jean-Pierre Gaudin relevait déjà ce paradoxe. Le zonage est,
même en matière d’urbanisme, une méthode ancienne - J-P. Gaudin en voit par exemple
les prémisses dans le plan de Karlsruhe de 1814 - et plutôt universelle, qui, dès lors, peu
s’incarner de nombreuse manière en fonction des sociétés qui y recourent (Gaudin,
1986). S’en tenir à la seule incarnation qui domina la première moitié du siècle dernier
est sans doute réducteur. Le zonage est une catégorie de la représentation de l’espace
pour l’action qui a, comme les autres, ses vertus et son défaut intrinsèques. Ce type de
découpage a-t-il aujourd’hui perdu de sa légitimité en raison de ces défauts ou en raison
de l’usage que l’on en a fait ? On tentera ici un début d’inventaire à charge et à décharge.
Il s’agit auparavant de mieux cerner dans le foisonnement des zonages à la fois les
pratiques et les principes d’actions qui relèvent plus spécifiquement du champ de
l’aménagement et de l’urbanisme. On peut à cet égard partir de la typologie proposée
par J-P. le Gléau qui a le mérite de la simplicité (Le Gléau, 1998). Cet auteur distingue
classiquement les «zonages du savoir », pour l’essentiel les périmètres d’étude proposés
de longue date par l’INSEE (bassin d’emploi, ZPIU, aire urbaine, zone de chalandise,
etc.) des «zonages du pouvoir ». Ceux-ci comprennent les zonages institutionnels, c’est-
à-dire le maillage largement hérité du passé des collectivités territoriales et ce qui relève
de l’intercommunalité. Les zonages d ’action ou zonages administratifs spécialisés
reflètent les modalités du découpage du territoire national en fonction des politiques
publiques sectorielles, mais aussi des grandes entreprises publiques de service (des
agences de bassin à la carte scolaire, des ressorts juridiques aux secteurs ANPE...). Enfin,
les zonages d’intervention relèvent de la territorialisation ad hoc d’une action collective
spécifique et prolifèrent particulièrement dans les domaines de la protection
environnementale et patrimoniale (ZNIEFF, ZPPAUP, PER), de l’urbanisme (schémas
directeurs, POS, ZAC...), de la politique de la Ville (DSU, zones franches urbaines...) et
bien sur de l’aménagement du territoire (zones de reconversion industrielle, zones
éligibles de la PAT, des fonds structurels, etc.).
On voit que pour l’essentiel, la catégorie dominante en aménagement est celle des
zonages d’intervention, zonages fonctionnels qui ont en théorie une durée de vie
beaucoup plus courte que celle des maillages institutionnels. Cette idée simple est
pourtant au cœur de la contestation récurrente que connaît dans la pratique ce type de
découpage : soit que ce type de zonage se révèle à l’usage trop peu labile (le «provisoire
qui dure »), la lourdeur d’une procédure de révision aboutissant finalement au rejet ou
au contournement de la planification urbaine à travers ses outils (cas de figure classique
des SDAU et des POS) ; soit que, par une inversion funeste mais constamment répétée,
l’idéologie technocratique du siècle écoulé ait demandé que l’on ajuste le maillage
institutionnel de longue durée aux «aires fonctionnelles » de la mobilité ou du
fonctionnement économique d’un territoire dont les configurations sont au contraire
éminemment mouvantes à moyen terme.
Cependant, les autres types de zonages ne sont pas absents, comme on vient de le voir,
dans la mesure où la question de l’interférence entre les découpages qui régissent
l’ensemble de la vie de la collectivité et ceux qui relèvent de l’action collective sur
l’aménagement de l’espace est traditionnellement construit comme un problème majeur
de l’action publique : le fameux recouvrement des territoires fonctionnels et
institutionnels dans un souci de «simplification ». On peut même se demander si les
découpages, par un processus de réification que l’on abordera plus loin, ne sont pas des
boucs émissaires commodes de l’inefficience politique. Par ailleurs, le glissement majeur
des politiques urbaines et d’aménagement vers des objectifs de gestion et de régulation
plutôt que d’équipement et d’urbanisation quantitative donne une importance cruciale
aux découpages liés à l’exercice administratif des politiques publiques sectorielles
comme aux services, qu’il s’agisse de l’éducation, de l’emploi ou de l’environnement.
Il convient aussi d’introduire une nouvelle distinction qui, loin d’être anodine, relève de
l’essence même de cette catégorie du découpage de l’espace. Selon le type de zonage
considéré, deux fonctions différentes peuvent leur être attribuées. Il s’agit, d’une part,
du pavage systématique et exhaustif d’un territoire donné, certes découpé en zones,
mais en fonction de critères communs et homogènes. Les outils qui sont au cœur de la
planification urbaine en France depuis la loi de 1967, les SDAU et les POS en sont
évidemment la meilleure illustration puisqu’ils concernent l’allocation des usages du
sol, mais cela vaut aussi, sous une forme peut-être atténuée pour d’autre instruments de
la planification territoriale comme les Programmes Locaux de l’Habitat ou les Plans de
Déplacement Urbain.
D’autre part, la fonction principale d’une zonage peut être, à l’inverse, de distinguer par
un périmètre une portion d’espace en fonction de critères spécifiques, d’un
environnement qui reste indifférencié. Ici, nul souci d’une couverture exhaustive, mais
au contraire mise en exergue de ce qui fait la singularité d’un lieu. La quasi-totalité des
zonages mise en œuvre en matière d’aménagement du territoire comme de
développement social urbain ces dernières années recourent à cette fonction dominante,
comme en matière de protection environnementale ou patrimoniale (Parcs Naturels,
périmètre Seveso, périmètre des Abords des Monuments Historiques et des Sites...). On
pourrait pratiquement les qualifier de zonages d’exception, dans la mesure ou ce
périmétrage dessine le ressort de procédures spécifiques : exemption fiscales, attribution
de primes ou subvention, avis conforme d’un A.B.F., etc. . Cette distinction n’est pas
sans conséquences sur l’implication juridique des zonages. Dans le premier cas,
l’autonomie du droit, par exemple le code de l’urbanisme, n’est pas remise en cause.
Dans le second, le droit n’est plus autonome mais dépend d’une expertise extérieure,
généralement scientifique, pour établir la pertinence du périmètre. Plus encore, les effets
pervers supposés de la mise en œuvre de ces types de zonages ne sont pas les mêmes
selon que la fonction de pavage ou de périmétrage est dominante : on les abordera donc
successivement.
La contribution du zonage à l’éclatement de la ville
On touche ici au principal reproche qui est généralement fait à propos de la mise en
œuvre du zonage en matière de planification urbaine, ainsi qu’au quiproquo qui fait que
l’on assimile, de façon volontaire ou non, une doctrine et un principe sous le même
terme. Le découpage en zones d’une ville existante comme de ses extensions projetées
apparaît en Allemagne au XIX° et au début de ce siècle aux Etats-Unis, avant de se
généraliser dans la doctrine et la pratique des urbanistes, notamment en France.
L'apparition du zoning dans l'ordre politico-administratif de la planification urbaine,
donc sa mise en pratique, est plus tardif. La légalité du zoning est reconnue aux Etats-
Unis dès les année 20 (Topalov 1988). En revanche, ce mode de découpage ne fait qu'une
timide apparition dans le droit de l'urbanisme français avant guerre pour n'être
réellement consacré que dans les années 50-60 (décrets-lois de 1958 sur les Z.U.P. et les
Z.A.D., et surtout la loi d'orientation foncière de 1967 créant les POS et les SDAU).
Le cas de figure français est donc particulier dans la mesure où la doctrine, ou en d’autre
termes, les prémisses d’une science de la ville que les urbanistes français de l’entre-
deux-guerres appelaient de leurs voues à précédé la pratique proprement dite du
«pavage » propre aux plans d’urbanisme. La doctrine du zonage s' d'est abord imposé
comme une tentative de régulation du "désordre urbain" des villes de l' industrielle etère
de réponse à la vieille question de la promiscuité entre l'usine et le logement. Mais, très
vite, le principe de la séparation des fonctions qui se confond alors avec le zonage
s'étend à l'ensemble des composantes de la ville (production, commerce, bureaux,
enseignement supérieur ou établissements sanitaires...) comme à l'intérieur de la sphère
de la résidence urbaine (des quartiers ouvriers aux "quartiers résidentiels"), devenant
ainsi à la fois universel et systématique.
Dès lors, cette application doctrinale du zonage a naturellement suscité une contestation
qui est devenu au fil du temps une opinion hégémonique. Le systématisme de la
séparation des fonctions aurait conduit ou à tout le moins favorisé aussi bien
l’effacement de la centralité que l’éclatement de la mixité fonctionnelle qui étaient
notamment au fondement de la ville européenne. La séparation excessive des lieux
dédiés de façon univoque à la résidence, au travail et à la consommation entraîne des
effets néfastes par le biais de l’augmentation de la mobilité motorisée sur
l’environnement et les modes de vie. A cet argumentaire s’est ajouté un temps, en
France, la critique qui faisait du zonage l’agent essentiel de la ségrégation socio-spatiale
dans la sphère résidentielle urbaine.
L’aspect doctrinal plutôt que pragmatique de ce zoning à la française (mais la doctrine a
connu de son temps un succès universel) est particulièrement visible dans les écrits ou
les manuels d’urbanisme de la première moitié du XX° siècle, qui précèdent justement
sa mise en pratique. La recherche d’une «loi naturelle » de la tendance à la séparation
des fonctions dans l’histoire des villes en remontant jusque dans l’antiquité en est un des
traits révélateur. Ainsi René Danger qui en remonte à des formes anciennes de
«spécialités dans l’établissement humain », comme les regroupements spécialisés
d’artisans dans la ville qui ont donné les rues des métiers (rue des orfèvres, rue des
tanneurs...) pour prouver la naturalité du zoning (Danger, 1947). Il peut être amusant de
noter que l’avatar contemporain de ces regroupements spécialisés, les «entrées de ville »
qui concentrent de nombreuses enseignes de la grande distribution, notamment dans
l’équipement de la maison, sont apparus en dehors, voir contre les objectifs des Schémas
Directeurs des années 60-70, qui représentent pourtant l’acmé du zoning !
Ceci s’apparente d’ailleurs à l’une des raisons qui font de la remise en cause du zoning
un débat quelque peu dépassé. La première serait, comme on l’a dit, que cette doctrine
du zoning urbain n’a plus de défenseurs. La seconde tient bien évidemment au
scepticisme qui se généralise quant à l’efficience même de la planification urbaine, et
donc a fortiori de l’impact réel de ses effets supposés. Enfin, la montée en puissance de
nouvelles doctrines autour des thèmes de «la ville qui se reconstruit sur elle-même » et
du renouvellement urbain plutôt que sur la nécessité de maîtriser la croissance extensive
des agglomérations urbaines relativise beaucoup l’efficacité opérationnelle du pavage
systématique.
De fait, si le débat doctrinal s’est aujourd’hui largement essoufflé, n’y aurait-il pas plus
profondément une perte réelle de l’efficacité à la fois gestionnaire et opérationnelle de la
«fonction pavante » du zonage, et plus encore, de sa force cognitive ? Certes, la fonction
première du zonage en urbanisme, telle qu’elle apparaît au début du siècle aux Etats-
Unis (Topalov, 1988), est avant tout d’être un outil qui permette la gestion concertée du
marché foncier et des rapports entre capitaux fonciers, constructeurs et pouvoirs publics
: ce rôle de «règle du jeu » du marché foncier urbain semble toujours nécessaire. En
revanche, si le zonage a longtemps permis de troquer de l'espace contre du temps, par
ses potentialités de phasage opérationnel, l’action urbaine y fait aujourd’hui de moins en
moins recours. Le tripode POS - zones NA - ZAC qui fit les beaux jours de l’urbanisme
opérationnel en France a depuis quelques années fait long feu. Les démarches qui
relèvent soit du type de la planification stratégique, soit du projet urbain et qui ont fleuri
ces dix dernières années se démarquent nettement, en France du moins, de la pratique
qui consiste à découper un territoire urbain en zones dotées de frontières précises et
contiguës.
Le pavage rencontre enfin deux limites qui relèvent de la réalité de la ville
contemporaine. Celle ci est sinon éclatée, à tout le moins réorganisée à l’échelle de
régions urbaines où le fonctionnement urbain s’appuie des discontinuités spatiales: le
pas du découpage devient alors soit trop fin et produit une représentation illisible, soit
trop large et n’a plus de pertinence. Plus encore, l'univocité d' représentation fondéeune
sur un maillage d'espaces contigus où les seules discontinuités sont celles des frontières
de zones ne permet pas de saisir le rôle majeur joué par les réseaux de circulation,
d'énergie et de communication dans la recomposition de la ville où les nœuds compte
autant que les zones, les connexions autant et plus que les frontières, le temps autant et plus que
l'espace (Dupuy, 1991).
Pour autant, il est tout à fait possible d’imaginer un zonage défini à partir de critères
d’accessibilité aux réseaux de transport, comme l’affiche le principe du zonage A - B - C
des agglomérations urbaines, mis en avant (sinon réellement mis en pratique) par les
Pays-Bas. Le pavage est une catégorie de la représentation de l’espace suffisamment
universelle pour se ressourcer à l’avenir, car les enjeux de contiguïté et de proximité
spatiale ne disparaissent pas pour autant dans la ville contemporaine. En revanche, le
zonage comme vecteur du mythe d’une représentation holiste des établissements
humains dans l’espace pour guider l’action collective, même à grands renfort de
systèmes d’information géographique, ne devrait pas survivre.
Les effets de périmètre: de l’arbitraire à la stigmatisation
Alors que la « fonction pavante » du zonage paraît globalement en recul, le nombre et la
diversité des « zonages d’exception » ne cessent de croître. Dans le domaine de l’action
économique par exemple, différents types de périmètres dérogatoires se sont multipliés
de par le monde, qualifiés de zones franches, de zones de non-droit, voire de zone « hors
la loi » à propos des paradis fiscaux. La mise en œuvre des mesures d’exonérations ou
d’allégements fiscaux, de dérogations au droit du travail, d’assouplissements
administratifs ou réglementaires divers qui fondent ce type d’intervention économique
s’accompagne nécessairement de la mise en place d’un zonage (Lefebvre, 1998). De
même, la mise en œuvre de la politique de développement social urbain en France
repose dès l’origine sur le découpages de secteurs urbains éligibles aux aides dans le
cadre de cette politique, dont plusieurs centaines ont été érigés en 1995 en autant de
périmètres dérogatoires permettant la mise en place de « mesures discriminatoires
positives » culminant dans les 38 « zones franches urbaines ». On a déjà dit que la
territorialisation de la politique de la DATAR, mais aussi celle du ministère de
l’Environnement comme celle du ministère de la Culture pour la protection
patrimoniale reposait presque exclusivement sur la mise en place de telles « zones
d’exception ».
Ce foisonnement contemporain devrait activer ou réactiver de nombreuses critiques à
propos des effets indésirables liés à la mise en place de tels périmètres. Curieusement,
même s’il est difficile d’avoir une vision globale compte tenu de la diversité des
domaines et des objets territoriaux concernés, l’impression dominante est plutôt celle
d’une grande ambiguïté, se traduisant comme l’a noté S. Lefebvre à propos des zones
franches, par un registre sémantique qui va du très négatif au très positif. On peut
néanmoins distinguer deux tendances. La première porte naturellement sur l’arbitraire
qui préside au dessin de ce type de zonage et comprend deux versions: soit que l’on
dénonce la surimposition d’un découpage rationnel a priori, et finalement d’essence
technocratique, sur des réalités locales; soit, au contraire que l’on désigne la
manipulation politique ou politicienne de critères supposés rationnels ou scientifiques
pour élaborer un périmètre ad hoc. C’est en quelque sorte la relation incestueuse entre
découpages du savoir et découpages du pouvoir qui est en cause.
La seconde concerne les effets inattendus de ce type de zonage, dont l’objet est
justement de produire des effets : qu’il s’agisse d’effets indésirables, ou même d’effets
inverses, comme, par exemple, le fait d’instaurer un périmètre de discrimination
positive conduisant à renforcer en réalité une stigmatisation négative. C’est plutôt ici un
processus d’induration ou de réification du zonage qui en serait le vecteur.
Un des zonages les plus « arbitraires » que l’on puisse trouver dans la législation
française est sans doute le périmètre de protection des abords des monuments
historiques au titre de la loi du 25 février 1943 modifiant la loi du 31 décembre 1913
(articles 13 et 13 bis). Selon ces articles, dans un rayon de 500 mètres autour du bâtiment
classé, tout immeuble situé dans le champ de visibilité de l’édifice classé « ne peut faire
l'objet, tant de la part des propriétaires privés que des collectivités et établissements
publics, d'aucune construction nouvelle, d'aucune démolition, d'aucun déboisement,
d'aucune transformation ou modification de nature à en affecter l'aspect, sans une
autorisation préalable » de l’Architecte des Bâtiments de France. Ce zonage d’exception
fortement contraignant est donc un « rond bête et méchant » surimposé a priori,
d’autant plus arbitraire que la rédaction de la loi de 1943 est elle-même entachée d’une
« erreur du législateur », puisqu’elle stipule un « périmètre de 500 mètres » en lieu et
place du rayon! La seule modification que ce périmètre est susceptible de connaître est
son élargissement: ainsi le périmètre de protection du château de Versailles est-il porté à
5 km, mesurés parait-il à partir de la chambre du Roi.
Ce qui fait de ce zonage un exemple intéressant pour notre propos, c’est qu’on peut
depuis 1983 lui substituer un autre périmètre, celui de la Zone de Protection du
Patrimoine Architectural, Urbain (et Paysager). Certes, la création de la procédure de
ZPPAUP traduit surtout un élargissement et un approfondissement de la perception
sociétale du patrimoine, notamment aux tissus urbains et aux ensembles paysagers. Elle
participe aussi du mouvement de décentralisation puisque l’établissement de ce zonage
est négocié entre l’Etat et les collectivités locales, et est soumis à enquête publique. Par
ailleurs il doit se fonder sur la conciliation entre l’intérêt culturel et patrimonial et le
développement économique et social du territoire. Il s’agit donc du passage d’un zonage
a priori à un zonage négocié.
L’examen de 24 ZPPAUP de substitution crées en Rhône-Alpes de 1987 à 1994 (elles
concernent pour l’essentiel des villages ou bourg ruraux) permet de dégager trois types
de modifications, en ne s’en tenant qu’au seul redécoupage et non au contenu ou aux
critères de la protection. Dans le premier cas, les corrections du « rond bête et méchant »
sont mineures, limitées dans quelques exemples à l’intégration d’un redent ou d’un
appendice (Yvoire en Haute-Savoie, Joyeuse en Ardèche ou la Benisson Dieu dans la
Loire). Certes, le modèle implicite du rayon de 500 m était le bourg d’origine médiéval
blotti autour du château et de l’abbaye, et cette situation se rencontre aussi dans la
réalité. Pour autant, nonobstant des adaptations à une réalité morphologique concrète,
c’est ici plutôt la prorogation du zonage a priori et de ce qu’il implique (covisibilité en
contiguïté) qui l’emporte.
Dans le second cas de figure, le nouveau zonage procède au contraire
d’une
rectification majeure du périmètre, soit par un accroissement considérable de l’aire de
protection (décuplement, voire plus dans le cas de Saint-Antoine dans l’Isère), soit par
une déconnexion complète des deux périmètres (Salles-Arbuissonnas ou Thizy dans le
Rhône). Cela traduit pour l’essentiel le passage d’une définition des abords par la
contiguïté à une définition élargie, voire inverse, qui privilégie les nouvelles notions de
cônes de vue et de grands paysages.
Le dernier type de ZPPAUP se distingue moins par des modifications de périmètre que
par le fait qu’elles substituent à une seule zone univoque un découpage en plusieurs
zones déclinant différents degrés de protection ou de constructibilité (Grignan dans la
Drôme, et tendanciellement, la plupart des ZPPAUP récentes). Sous le zonage
d’exception, c’est le pavage qui renaît, sur le modèle même du POS!
Les enseignements, partiels et provisoires, que l’on peut tirer de cet exemple sont là
aussi de nature paradoxale. Malgré la réelle rupture, voire l’inversion des fondements
de la démarche qui produit le zonage d’une procédure à l’autre, il n’y a pas cinquante
manière de découper un territoire, et l’on retrouve des modèles éprouvés (le « rond
amendé » ou le pavage façon POS), reflet tant de la culture professionnel des experts
que des représentations collectives des acteurs territoriaux. Par ailleurs, la tendance
générale est à l’élargissement, assortie de sophistication, du territoire soumis à
dérogation, et donc à un renforcement du principe de zone d’exception. Enfin, les
modifications de périmètre reflètent effectivement une prise en compte des
caractéristiques d’un territoire concret, mais plus encore la montée en puissance d’une
nouvelle doctrine en matière patrimoniale, construite autour des notions d’intérêt
culturel et d’ensemble paysager. L’impact des ZPPAUP, notamment en matière de
constructibilité peut être très lourd: le périmètre des 500 mètres est certes arbitraire mais
le zonage doctrinal à dire d’expert est lui par nature contestable, et ouvre largement la
porte au contentieux. L’opposition entre zonage arbitraire et zonage négocié n’est donc
pas si évidente, et renvoie davantage à l’évolution de l’intérêt général qu’à la façon de
découper.
Bien sûr, tout zonage fonctionnel est supposé labile, à tout le moins révisable. Bien
souvent néanmoins, la loi bien connue du « provisoire qui dure » l’emporte. Tel zonage
alors s’indure, la stabilité d’un périmètre renforçant sa légitimité, mais aussi la
production d’effets indésirables liés au périmétrage entraînant la nécessité d’une action
thérapeutique dans le même périmètre : c’est ainsi que les Z.U.P. triomphantes se
retrouvent « zones de revitalisation urbaine » 25 ans plus tard.
Le zonage qui dure est en quelque sorte réifié, et la procédure qui le porte donne son
nom par métonymie au lieu qu’elle découpe, voire à ses habitants (la Z.U.P. et la ZAC
en sont les meilleurs exemples). Ceci ne porte pas nécessairement à conséquence, si ce
n’est que cette induration s’accompagne presque toujours d’une stigmatisation négative.
Il y a plus d’un siècle, la zone non aedificandi des « fortifs » des Paris était déjà devenue
la Zone, et ses habitants, les « zonards ». La servitude d’inconstructibilité prolongée par
les atermoiements du projet de sa reconversion a amené le développement d’un habitat
informel et illégal et le regroupement d’une population « d’indésirables » dont les
mœurs et les activités illicites étaient couverts d’opprobre.
Cette stigmatisation a-t-elle réellement à voir avec les principes même du zonage? En
partie oui, ou du moins avec le manque de précaution dans l’usage technocratique de
cette façon de découper revenant à distinguer un morceau de ville existant ou à
aménager, par des caractéristiques morphologiques, sociales ou économiques jugées
particulières.
Les « quartiers en difficultés » relevant de la politique de la Ville sont particulièrement
révélateur des effets pervers de ce mode de découpage. Ces effets pervers sont de deux
ordres:
l'isolement artificiel, sur la base de seuils socio-démographiques (taux de
chômage, de population étrangère, de jeunes...) de morceaux de ville dans le continuum
urbain, et le lissage des différenciations internes. Ces deux effets se renforcent l'un
l'autre et favorisent un processus de stigmatisation, dans ce cas, très négative. Or,
malgré la dénonciation de ces effets pervers dans le débat public dès les premières
expériences de DSQ des années 80, ce mode de découpage s' renforcé dans la durée,est
jusqu' son avatar le plus récent sous forme de "zones franches" ou de "zones deà
revitalisation urbaine". Le souci de distinguer des espaces dont les populations
cumulent des handicaps au regard de ce qui est considéré comme la normalité, en
renforce la visibilité sociale et spatiale.
Le processus métonymique qui assigne, par la réification du zonage, une population à
un espace (et réciproquement) est en fait un processus de simplification. Comme toute
catégorie de la représentation pour l’action, le zonage opère intrinsèquement une
réduction et une simplification du réel. Le fil directeur qui relie ces quelques exemples
d’usages critiqués de ce mode de découpage serait en quelque sorte l’oubli des effets de
réalité que produit cette simplification du réel. Une manière de se garantir contre ce
risque tiendrait alors à la pluralité des zonages qui se juxtaposent et s’enchevêtrent sur
un même espace soumis à l’action collective en matière d’aménagement. Cette vertu de
la concaténation des zonages vient pourtant à contre-courant de la vieille tendance
française à vouloir, de façon récurrente, simplifier le nombre et les types de zonages, ce
qui revient finalement à prendre la maladie pour le remède.
Références bibliographiques
Danger, René: Cours d’Urbanisme - Paris, Ed. Eyrolles, 1947
Dupuy, Gabriel: L'urbanisme des réseaux, théories et méthodes - Paris, A. Colin, 1991
Gaudin , Jean Pierre: Le zoning ou la nuit tranfigurée; Culture Techique, n° Hors série,
L'usine et la ville - 150 ans d'urbanisme 1836-1986, 1986, pp.57-64
Lefebvre, Sylvain: Découpage et dérogation; les zones franches économiques - in Les
découpages du territoire, INSEE, Coll. Méthode,n°76/77/78 1998
Merlin, Pierre, Choay, Françoise: Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement - Paris,
PUF, 1996
Scherrer, Franck: Figures et avatars de la justification territoriale des infrastructures urbaines,
in Gariépy, Michel & Marié, Michel (Dir.): Ces réseaux qui nous gouvernent, L'Harmattan,
1997
Scherrer, Franck: Découper pour l’action; naissance et évolution des découpages liés à
l’aménagement urbain - in Les découpages du territoire, INSEE, Coll. Méthode,n°76/77/78
1998
Topalov Christian: Naissance de l'urbanisme moderne et réforme de l'habitat populaire aux
Etats-Unis 1900-1940, CSU, rapport de recherche au Plan Urbain, février 1988
Vanier, Martin: La petite fabrique de territoire en Région Rhône-Alpes: acteurs, mythes et
pratiques, Revue de Géographie de Lyon, 1995-2.