terme de bioclimatique appliqué à l’architecture recouvre une série de concepts récents, l’un de caractère très large (approche de l’habitat selon sa relation au milieu climatique, et les qualités d’abri qui en découlent), l’autre beaucoup plus précis, relevant des problématiques actuelles d’utilisation des énergies naturelles, et particulièrement de l’énergie solaire, dans l’habitat.
Ces approches ont en commun d’associer étroitement des données thermiques et des données architecturales, ce qui en fait la valeur opérationnelle ; issues de la pensée écologique, elles se donnent pour objectif d’améliorer les relations entre l’habitat humain et le milieu naturel, et en particulier de réduire sans nuire à l’ambiance le gaspillage énergétique et les pollutions qui en découlent.
L’application de l’analyse bioclimatique aux habitats existants révèle d’abord les qualités variables des enveloppes et des enceintes implantées dans des climats divers. Les types de base de l’enceinte primitive (du Néolithique à l’ère industrielle) peuvent être ramenés à trois, que nous appellerons de façon imagée la caverne , la bulle et la résille .
Passons rapidement sur cette dernière, enceinte discontinue de fibres végétales, largement perméable à l’exception du toit, et qui ne se rencontre que dans des climats tropicaux humides où la ventilation est largement souhaitée. La caverne (et par analogie toutes les enceintes « lourdes » à forte masse et forte inertie thermique) recouvre l’ensemble des architectures de terre et de pierre ; ces enceintes ont pour principale caractéristique thermique de minimiser et de déphaser les échanges thermiques entre l’intérieur et l’extérieur, ce qui rend leur qualité intéressante en climats contrastés.
Il est instructif de comparer les avantages et les inconvénients de cette masse thermique à l’intérieur d’une aire de diffusion climatiquement variée, par exemple de part et d’autre de la Méditerranée, et d’observer comment les constructeurs-habitants en tirèrent parti avec plus ou moins de science contre la chaleur et le froid. En climat froid, la pire nuisance était l’humidité intérieure, d’où une attention particulière aux moyens de chauffage, que les Européens portèrent à un degré de perfectionnement élevé (cheminées) ; il faut noter aussi le soin avec lequel ils réduisirent et protégèrent les ouvertures (au détriment, d’ailleurs, des apports solaires), et leur souci de bien les orienter, de tirer profit des locaux annexes, principalement agricoles, du relief et des masses végétales, pour isoler ces enceintes des vents dominants. Cependant, l’adaptation des enceintes lourdes aux climats chauds et secs nous semble beaucoup plus riche (architecture musulmane). Citons quelques-unes des « inventions » architecturales qui concourent à leur qualité d’ambiance : d’abord le patio ; ensuite tous les espaces intermédiaires entre patio et enceinte (galeries, porches couverts, ou iwan) ; le traitement des enveloppes et de leurs percements (claustra, moucharabiehs) ; enfin et surtout, la gamme des guide-vents, tous les artifices destinés à rafraîchir l’air en utilisant l’eau ou la masse des murs et des sols, à l’extraire (convection forcée), à le capter loin du sol et à l’envoyer avec précision dans les locaux d’habitation (tours à vent arabes et iraniennes).
Nous avons appelé « bulles » des enceintes édifiées en matériaux isolants, dépourvues de masse thermique et coupées aussi parfaitement que possible du milieu extérieur ; le cas extrême en est l’igloo , dont tous les composants (neige, fourrures) emprisonnent de l’air, et qui n’a aucune ouverture directe sur l’extérieur. Dans des contextes moins rigoureux, les maisons de bois de l’Europe nordique ou montagneuse illustrent elles aussi ce concept. Dans l’isba en particulier, l’abri permanent (pièce du poêle) est littéralement englobé dans des espaces tampons : porche et vestibule, dépôts et services aveugles, comble et vide sanitaire hermétiques. Cependant, par la « masse fictive » de son énorme poêle, cette maison constitue, thermiquement parlant, une sorte d’enceinte mixte où l’inertie du poêle amortit les fluctuations de la température interne. Cette observation est applicable à la plupart des maisons de bois européennes : maisons ottomanes et balkaniques qui comprennent une base maçonnée abritant les services et un étage plus léger d’habitation ; chalets alpins, associant au contraire l’habitation lourde et les resserres en comble isolant, sans oublier les pans de bois, type exemplaire d’enveloppe mixte. On examinera, à propos de l’architecture moderne industrialisée, des enceintes réellement dépourvues de masse thermique et les suppléments de consommation énergétique qu’elles nécessitent pour maintenir l’ambiance intérieure.
Un caractère commun à toutes les architectures vernaculaires est que, si bonne que soit leur conception et si étudiés que fussent leurs moyens de chauffage ou de rafraîchissement, ils ne suffisaient qu’exceptionnellement à assurer totalement le confort d’ambiance de leurs enceintes : dépourvues de masse thermique suffisante, celles-ci étaient à la merci de variations accidentelles du climat ou du combustible disponible ; lourdes, elles ne s’adaptaient que trop lentement à ces variations, imposant aux habitants des sortes de migrations à l’intérieur de leur habitat, à la recherche de zones tantôt tièdes tantôt fraîches. Cette hétérogénéité de l’ambiance et son caractère négatif ou positif constituent un argument clef pour ou contre l’architecture bioclimatique d’aujourd’hui.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les demeures des classes aisées représentent une tentative pour s’affranchir de ces inconforts : par la systématisation du recours aux menuiseries pour corriger la rudesse des enceintes lourdes (lambris, contrevents), par l’élargissement des ouvertures et par la multiplication des moyens de chauffage, elles préfigurent dans les meilleurs des cas le « confort » que nous connaissons ; mais cela entraîne la réduction du caractère défensif des enceintes thermiques, et partant le gaspillage de combustible.
L’architecture moderne proprement dite apparaît avec de nouveaux matériaux : fer et verre d’abord, suivis bien plus tard de toute une gamme d’isolants. Ce qui donne naissance à un type d’enceinte entièrement nouveau, la serre.
Dès le XIXe siècle, la serre fut plus et autre chose qu’une resserre à plantes délicates. Elle fut associée à l’habitat, et à tous les niveaux : niveau domestique avec les jardins d’hiver, les oriels, les halls ; niveau des grands bâtiments publics (magasins, musées, écoles) dont les verrières de plus en plus hardies permettaient l’extension selon des proportions inimaginables auparavant ; niveau des espaces urbains, où elle métamorphosa la conception des marchés et des passages commerciaux, et imposa des images nouvelles du grand hall collectif (dans les gares en particulier).
Mais, en même temps que la lumière et le continuum spatial interne, les serres et les verrières apportèrent des déboires à leurs constructeurs, tant par la débauche de combustible qu’engendra l’habitude d’ouvrir largement les locaux habitables sur ces enceintes d’un nouveau genre que par la difficulté d’entretien de structures si vulnérables aux agents climatiques (corrosion par l’humidité, sensibilité aux chocs thermiques) ; cependant, le gain de lumière acquis rendait irréversible l’attrait des grands vitrages, et si la mode des serres et des verrières s’atténue au lendemain de la Première Guerre mondiale, c’est pour faire place à l’architecture « internationale », née en Europe avant de gagner les États-Unis, puis toute la planète, et qui n’assignera pratiquement plus de limite à l’ampleur des vitrages.
Les théories de l’architecture « internationale » se définissent entre les deux guerres après avoir connu dès le milieu du XIXe siècle quelques formulations prophétiques (utopistes, ingénieurs et médecins) : l’importance du rayonnement solaire dans l’habitat est reconnue, en termes d’hygiène et de lumière sinon encore d’apport calorique, tandis que la prise en compte de la carence en habitat social entraîne un recours illimité aux procédés industriels de construction ; après l’installation des premiers pans de verre de Le Corbusier, des constructivistes russes ou du Bauhaus allemand, se succèdent durant vingt ans des hivers cruels et des étés infernaux ; d’où les premières tentatives, par Le Corbusier encore, de conditionnement d’air (air exact), puis, après leur échec (immeuble de l’Armée du salut à Paris), du brise-soleil, suivi plus tard de « rebouchages » partiels des pans de verre trop étendus.
C’est cependant l’après-guerre, avec la formidable progression technique des États-Unis, qui verra se développer réellement l’architecture « internationale » : l’air conditionné, largement commercialisé, semblant capable de corriger, sous tous les climats, les audaces et même les erreurs des nouveaux bâtisseurs. Bâtiments « légers », juxtaposant le métal, les pans de verre et les panneaux « sandwich », ou bâtiments apparemment massifs en béton armé se substituent partout à la multiplicité des anciens modèles architecturaux en même temps que de nouveaux modèles urbains (immeubles en tour ou en barre largement espacés) remplacent les anciens tissus denses générateurs de microclimats défensifs.
Le prix de ces changements n’apparaît qu’après quelques décennies et surtout à partir de la « crise de l’énergie », moment où, dans les sociétés techniquement les plus avancées, on se préoccupe tout à coup de la consommation énergétique ; il apparaît alors que, pour un pays comme la France, par exemple, la consommation domestique d’énergie représente le tiers de la consommation totale ! Dès lors, aux États-Unis comme en Europe occidentale, les études jusqu’alors marginales sur l’utilisation des énergies naturelles dans l’habitat prennent un développement rapide.
Ces études procèdent de deux approches différentes, l’une, plutôt philosophique, tendant, à la faveur de la crise considérée comme un avertissement, à réorienter le modèle de consommation et la conception de la place de l’homme dans la chaîne des équilibres naturels, l’autre, demeurée à l’intérieur du modèle dominant, appliquant aux énergies naturelles la problématique scientifique et technologique courante ; de façon un peu simpliste, on a coutume de rattacher à la première approche la conception bioclimatique de l’habitat (cf. « Architecture douce », in Universalia 1977) ; et à la seconde l’architecture solaire intégrant des moyens spécifiquement héliotechniques.
Les moyens de l’architecture bioclimatique moderne sont, à l’origine, ceux des architectures vernaculaires (réexaminées selon les points de vue exposés plus haut), enrichis par un large recours aux serres et aux verrières.
Ces moyens peuvent être analysés comme des choix architecturaux, tels que la conception des volumes des enceintes et de leurs espaces d’accompagnement en vue de valoriser les apports favorables du milieu (soleil, vent dans certains climats) et de minimiser les pertes thermiques ou les surchauffes ; la diversification des espaces constituant l’habitat en zones stables, contrôlées, zones moyennes et zones tampons de simple passage ; l’attention extrême portée à l’insertion dans le site et l’aménagement de celui-ci au voisinage de l’habitat dans le but de constituer des microclimats favorables.
On peut également analyser les moyens de l’architecture bioclimatique comme des choix de construction, qui entraînent notamment la fréquente association de matériaux à forte masse thermique (donc capables d’amortir les effets des variations extérieures sur l’ambiance de l’enceinte sans recours excessif à des combustibles) et de serres constituant des espaces solaires complémentaires de l’enceinte.
Plusieurs hypothèses sous-tendent ces options. D’abord la possibilité et même l’agrément de vivre dans des ambiances contrastées. Ensuite la possibilité d’accepter des migrations internes (saisonnières ou journalières) entre la zone stable et les divers espaces d’accompagnement. Enfin, la possibilité d’intervenir activement dans la régulation de l’ambiance interne, en particulier par manipulation régulière des nombreux types de contrôle simple des ouvertures et des façades (volets, stores, etc.).
La conception architecturale de tels habitats est riche et variée, et donne souvent naissance à des formes non conventionnelles (cf. illustr. « Architecture douce », in Universalia 1977) ; les options techniques évoluent rapidement dans le sens d’un recours croissant à des matériaux nouveaux tels que vitrages à isolation mobile ou à transparence variable, à des matériaux à chaleur latente et sensible incorporés à des maçonneries pour en augmenter la masse thermique (béton thermocrète), ainsi qu’à des gammes de matériels de réglage automatique se substituant progressivement aux commandes manuelles.
Mais c’est à l’échelle des formes urbaines que le facteur bioclimatique est le plus nouveau et le plus important ; il permet en effet de réactualiser le continuum urbain, éclaté depuis cinquante ans, et d’envisager de nouvelles formulations spatiales mariant l’héritage traditionnel et certaines innovations spatiales dont l’urbanisme nordique préfigure aujourd’hui le jeu (voir en particulier les réalisations de Ralph Erskine).
Un système héliotechnique se compose, comme tout échangeur énergétique, de moyens de captage (appelés ici insolateurs), de stockage et de redistribution, augmentés, du fait de la nature cyclique et aléatoire de la source d’énergie, d’un appoint énergétique et de la régulation correspondante. Il faut savoir qu’il existe de nombreux systèmes capables d’assumer ces fonctions : au niveau du captage, et pour s’en tenir aux insolateurs plans à absorption directe, les plus couramment utilisés en bâtiment, il en est à air, à eau, à huile, en métal ou en maçonnerie ; le stockage des calories peut s’opérer dans des maçonneries, dans des cuves d’eau, dans des sels à changement de phase. Même diversité dans les formes de redistribution, et surtout dans le degré de complexité des circuits, dont le plus simple est le mur Trombe (cf. « Climatisation », in Universalia 1977), les plus complexes pouvant comporter des échangeurs, des relais, des pompes à chaleur. De manière générale, on appelle actifs ceux qui recourent à des circulateurs mécaniques, et passifs ceux où la circulation des fluides s’opère par des moyens naturels (thermosiphon, convection).
Mais une réalisation d’architecture solaire ne se définit pas seulement par le choix de son système. La position des éléments, d’abord, définit de nouvelles possibilités de variantes : il existe des insolateurs-toits (maisons du M.I.T. aux États-Unis, en France l’école de Séez), des insolateurs-murs (maisons Trombe-Michel), d’autres intermédiaires (pavillons de Blagnac), en attique, en talus, en ébrasement ; d’autres sont inclus dans des volumes captants spécifiques, et l’on se dégage de plus en plus, sans nuire aux rendements thermiques, de la rigidité des premiers prototypes (diversification des angles possibles de captage, en hauteur et en azimut, réduction des surfaces, consécutive à la progression du stockage). Les stockages peuvent avoir eux aussi une incidence sur la conception du volume de l’habitat, qu’ils s’intègrent aux murs, au sol, ou qu’ils occupent une position éminente, au centre de la maison, comme un foyer traditionnel.
Les tendances actuelles les plus notables consistent à combiner les moyens héliotechniques avec une conception bioclimatique globale de l’habitat, d’où une plus grande richesse des espaces et volumes, et à traiter plutôt des ensembles collectifs que des habitations isolées, d’où l’établissement de stockages communs qui favorisent l’autonomie (stockages dits intersaisonniers) et offrent des possibilités architecturales élargies (traitement spatial global des ensembles).
On citera comme exemples de ces programmes : l’immeuble Plenar à Zurich, le projet de collectif de Blagnac en France.
Dans les pays en voie de développement, le soleil est déjà intégré à l’habitat dans des opérations d’hydraulique rurale (pompes solaires et insolateurs-toits Sofretès) ; il y a aujourd’hui une importante demande pour la climatisation domestique solaire, qui devrait conduire à un nouvel habitat réellement tropical. À la faveur de ces exemples, soulignons deux points essentiels :
Le premier, c’est que l’architecture solaire ne se réduit pas à un ajout de matériels mais implique une innovation spatiale.
Le second, c’est la possibilité de recréer, par la diversité des systèmes et des formes, une différenciation en fonction des climats, ce qui est proprement la résurrection de la notion d’habitat vernaculaire.
Quel avenir immédiat peut espérer l’architecture solaire ? L’affinement des stratégies et la progression des matériaux et des systèmes permettent de prévoir à court terme l’effondrement des blocages économiques à sa diffusion. Resteront, bien sûr, les blocages d’ordre politique et sociologique. Si les organismes de recherche se multiplient, y compris à l’échelle nationale (création, en été 1978, d’un commissariat à l’Énergie solaire), et si le public montre un vif intérêt, bien des problèmes juridiques ou professionnels risquent de la freiner. Ce qui nous ramène au problème général de l’environnement et du cadre de vie.
Ces approches ont en commun d’associer étroitement des données thermiques et des données architecturales, ce qui en fait la valeur opérationnelle ; issues de la pensée écologique, elles se donnent pour objectif d’améliorer les relations entre l’habitat humain et le milieu naturel, et en particulier de réduire sans nuire à l’ambiance le gaspillage énergétique et les pollutions qui en découlent.
1. Problématique bioclimatique de l’architecture
L’application de l’analyse bioclimatique aux habitats existants révèle d’abord les qualités variables des enveloppes et des enceintes implantées dans des climats divers. Les types de base de l’enceinte primitive (du Néolithique à l’ère industrielle) peuvent être ramenés à trois, que nous appellerons de façon imagée la caverne , la bulle et la résille .
Passons rapidement sur cette dernière, enceinte discontinue de fibres végétales, largement perméable à l’exception du toit, et qui ne se rencontre que dans des climats tropicaux humides où la ventilation est largement souhaitée. La caverne (et par analogie toutes les enceintes « lourdes » à forte masse et forte inertie thermique) recouvre l’ensemble des architectures de terre et de pierre ; ces enceintes ont pour principale caractéristique thermique de minimiser et de déphaser les échanges thermiques entre l’intérieur et l’extérieur, ce qui rend leur qualité intéressante en climats contrastés.
Il est instructif de comparer les avantages et les inconvénients de cette masse thermique à l’intérieur d’une aire de diffusion climatiquement variée, par exemple de part et d’autre de la Méditerranée, et d’observer comment les constructeurs-habitants en tirèrent parti avec plus ou moins de science contre la chaleur et le froid. En climat froid, la pire nuisance était l’humidité intérieure, d’où une attention particulière aux moyens de chauffage, que les Européens portèrent à un degré de perfectionnement élevé (cheminées) ; il faut noter aussi le soin avec lequel ils réduisirent et protégèrent les ouvertures (au détriment, d’ailleurs, des apports solaires), et leur souci de bien les orienter, de tirer profit des locaux annexes, principalement agricoles, du relief et des masses végétales, pour isoler ces enceintes des vents dominants. Cependant, l’adaptation des enceintes lourdes aux climats chauds et secs nous semble beaucoup plus riche (architecture musulmane). Citons quelques-unes des « inventions » architecturales qui concourent à leur qualité d’ambiance : d’abord le patio ; ensuite tous les espaces intermédiaires entre patio et enceinte (galeries, porches couverts, ou iwan) ; le traitement des enveloppes et de leurs percements (claustra, moucharabiehs) ; enfin et surtout, la gamme des guide-vents, tous les artifices destinés à rafraîchir l’air en utilisant l’eau ou la masse des murs et des sols, à l’extraire (convection forcée), à le capter loin du sol et à l’envoyer avec précision dans les locaux d’habitation (tours à vent arabes et iraniennes).
Nous avons appelé « bulles » des enceintes édifiées en matériaux isolants, dépourvues de masse thermique et coupées aussi parfaitement que possible du milieu extérieur ; le cas extrême en est l’igloo , dont tous les composants (neige, fourrures) emprisonnent de l’air, et qui n’a aucune ouverture directe sur l’extérieur. Dans des contextes moins rigoureux, les maisons de bois de l’Europe nordique ou montagneuse illustrent elles aussi ce concept. Dans l’isba en particulier, l’abri permanent (pièce du poêle) est littéralement englobé dans des espaces tampons : porche et vestibule, dépôts et services aveugles, comble et vide sanitaire hermétiques. Cependant, par la « masse fictive » de son énorme poêle, cette maison constitue, thermiquement parlant, une sorte d’enceinte mixte où l’inertie du poêle amortit les fluctuations de la température interne. Cette observation est applicable à la plupart des maisons de bois européennes : maisons ottomanes et balkaniques qui comprennent une base maçonnée abritant les services et un étage plus léger d’habitation ; chalets alpins, associant au contraire l’habitation lourde et les resserres en comble isolant, sans oublier les pans de bois, type exemplaire d’enveloppe mixte. On examinera, à propos de l’architecture moderne industrialisée, des enceintes réellement dépourvues de masse thermique et les suppléments de consommation énergétique qu’elles nécessitent pour maintenir l’ambiance intérieure.
Un caractère commun à toutes les architectures vernaculaires est que, si bonne que soit leur conception et si étudiés que fussent leurs moyens de chauffage ou de rafraîchissement, ils ne suffisaient qu’exceptionnellement à assurer totalement le confort d’ambiance de leurs enceintes : dépourvues de masse thermique suffisante, celles-ci étaient à la merci de variations accidentelles du climat ou du combustible disponible ; lourdes, elles ne s’adaptaient que trop lentement à ces variations, imposant aux habitants des sortes de migrations à l’intérieur de leur habitat, à la recherche de zones tantôt tièdes tantôt fraîches. Cette hétérogénéité de l’ambiance et son caractère négatif ou positif constituent un argument clef pour ou contre l’architecture bioclimatique d’aujourd’hui.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les demeures des classes aisées représentent une tentative pour s’affranchir de ces inconforts : par la systématisation du recours aux menuiseries pour corriger la rudesse des enceintes lourdes (lambris, contrevents), par l’élargissement des ouvertures et par la multiplication des moyens de chauffage, elles préfigurent dans les meilleurs des cas le « confort » que nous connaissons ; mais cela entraîne la réduction du caractère défensif des enceintes thermiques, et partant le gaspillage de combustible.
L’architecture moderne proprement dite apparaît avec de nouveaux matériaux : fer et verre d’abord, suivis bien plus tard de toute une gamme d’isolants. Ce qui donne naissance à un type d’enceinte entièrement nouveau, la serre.
Dès le XIXe siècle, la serre fut plus et autre chose qu’une resserre à plantes délicates. Elle fut associée à l’habitat, et à tous les niveaux : niveau domestique avec les jardins d’hiver, les oriels, les halls ; niveau des grands bâtiments publics (magasins, musées, écoles) dont les verrières de plus en plus hardies permettaient l’extension selon des proportions inimaginables auparavant ; niveau des espaces urbains, où elle métamorphosa la conception des marchés et des passages commerciaux, et imposa des images nouvelles du grand hall collectif (dans les gares en particulier).
Mais, en même temps que la lumière et le continuum spatial interne, les serres et les verrières apportèrent des déboires à leurs constructeurs, tant par la débauche de combustible qu’engendra l’habitude d’ouvrir largement les locaux habitables sur ces enceintes d’un nouveau genre que par la difficulté d’entretien de structures si vulnérables aux agents climatiques (corrosion par l’humidité, sensibilité aux chocs thermiques) ; cependant, le gain de lumière acquis rendait irréversible l’attrait des grands vitrages, et si la mode des serres et des verrières s’atténue au lendemain de la Première Guerre mondiale, c’est pour faire place à l’architecture « internationale », née en Europe avant de gagner les États-Unis, puis toute la planète, et qui n’assignera pratiquement plus de limite à l’ampleur des vitrages.
Les théories de l’architecture « internationale » se définissent entre les deux guerres après avoir connu dès le milieu du XIXe siècle quelques formulations prophétiques (utopistes, ingénieurs et médecins) : l’importance du rayonnement solaire dans l’habitat est reconnue, en termes d’hygiène et de lumière sinon encore d’apport calorique, tandis que la prise en compte de la carence en habitat social entraîne un recours illimité aux procédés industriels de construction ; après l’installation des premiers pans de verre de Le Corbusier, des constructivistes russes ou du Bauhaus allemand, se succèdent durant vingt ans des hivers cruels et des étés infernaux ; d’où les premières tentatives, par Le Corbusier encore, de conditionnement d’air (air exact), puis, après leur échec (immeuble de l’Armée du salut à Paris), du brise-soleil, suivi plus tard de « rebouchages » partiels des pans de verre trop étendus.
C’est cependant l’après-guerre, avec la formidable progression technique des États-Unis, qui verra se développer réellement l’architecture « internationale » : l’air conditionné, largement commercialisé, semblant capable de corriger, sous tous les climats, les audaces et même les erreurs des nouveaux bâtisseurs. Bâtiments « légers », juxtaposant le métal, les pans de verre et les panneaux « sandwich », ou bâtiments apparemment massifs en béton armé se substituent partout à la multiplicité des anciens modèles architecturaux en même temps que de nouveaux modèles urbains (immeubles en tour ou en barre largement espacés) remplacent les anciens tissus denses générateurs de microclimats défensifs.
2. L’équilibre entre énergie et habitat : de la rupture à la réévaluation
Le prix de ces changements n’apparaît qu’après quelques décennies et surtout à partir de la « crise de l’énergie », moment où, dans les sociétés techniquement les plus avancées, on se préoccupe tout à coup de la consommation énergétique ; il apparaît alors que, pour un pays comme la France, par exemple, la consommation domestique d’énergie représente le tiers de la consommation totale ! Dès lors, aux États-Unis comme en Europe occidentale, les études jusqu’alors marginales sur l’utilisation des énergies naturelles dans l’habitat prennent un développement rapide.
Ces études procèdent de deux approches différentes, l’une, plutôt philosophique, tendant, à la faveur de la crise considérée comme un avertissement, à réorienter le modèle de consommation et la conception de la place de l’homme dans la chaîne des équilibres naturels, l’autre, demeurée à l’intérieur du modèle dominant, appliquant aux énergies naturelles la problématique scientifique et technologique courante ; de façon un peu simpliste, on a coutume de rattacher à la première approche la conception bioclimatique de l’habitat (cf. « Architecture douce », in Universalia 1977) ; et à la seconde l’architecture solaire intégrant des moyens spécifiquement héliotechniques.
3. L’architecture bioclimatique
Les moyens de l’architecture bioclimatique moderne sont, à l’origine, ceux des architectures vernaculaires (réexaminées selon les points de vue exposés plus haut), enrichis par un large recours aux serres et aux verrières.
Ces moyens peuvent être analysés comme des choix architecturaux, tels que la conception des volumes des enceintes et de leurs espaces d’accompagnement en vue de valoriser les apports favorables du milieu (soleil, vent dans certains climats) et de minimiser les pertes thermiques ou les surchauffes ; la diversification des espaces constituant l’habitat en zones stables, contrôlées, zones moyennes et zones tampons de simple passage ; l’attention extrême portée à l’insertion dans le site et l’aménagement de celui-ci au voisinage de l’habitat dans le but de constituer des microclimats favorables.
On peut également analyser les moyens de l’architecture bioclimatique comme des choix de construction, qui entraînent notamment la fréquente association de matériaux à forte masse thermique (donc capables d’amortir les effets des variations extérieures sur l’ambiance de l’enceinte sans recours excessif à des combustibles) et de serres constituant des espaces solaires complémentaires de l’enceinte.
Plusieurs hypothèses sous-tendent ces options. D’abord la possibilité et même l’agrément de vivre dans des ambiances contrastées. Ensuite la possibilité d’accepter des migrations internes (saisonnières ou journalières) entre la zone stable et les divers espaces d’accompagnement. Enfin, la possibilité d’intervenir activement dans la régulation de l’ambiance interne, en particulier par manipulation régulière des nombreux types de contrôle simple des ouvertures et des façades (volets, stores, etc.).
La conception architecturale de tels habitats est riche et variée, et donne souvent naissance à des formes non conventionnelles (cf. illustr. « Architecture douce », in Universalia 1977) ; les options techniques évoluent rapidement dans le sens d’un recours croissant à des matériaux nouveaux tels que vitrages à isolation mobile ou à transparence variable, à des matériaux à chaleur latente et sensible incorporés à des maçonneries pour en augmenter la masse thermique (béton thermocrète), ainsi qu’à des gammes de matériels de réglage automatique se substituant progressivement aux commandes manuelles.
Mais c’est à l’échelle des formes urbaines que le facteur bioclimatique est le plus nouveau et le plus important ; il permet en effet de réactualiser le continuum urbain, éclaté depuis cinquante ans, et d’envisager de nouvelles formulations spatiales mariant l’héritage traditionnel et certaines innovations spatiales dont l’urbanisme nordique préfigure aujourd’hui le jeu (voir en particulier les réalisations de Ralph Erskine).
4. Héliotechnique et architecture solaire
Un système héliotechnique se compose, comme tout échangeur énergétique, de moyens de captage (appelés ici insolateurs), de stockage et de redistribution, augmentés, du fait de la nature cyclique et aléatoire de la source d’énergie, d’un appoint énergétique et de la régulation correspondante. Il faut savoir qu’il existe de nombreux systèmes capables d’assumer ces fonctions : au niveau du captage, et pour s’en tenir aux insolateurs plans à absorption directe, les plus couramment utilisés en bâtiment, il en est à air, à eau, à huile, en métal ou en maçonnerie ; le stockage des calories peut s’opérer dans des maçonneries, dans des cuves d’eau, dans des sels à changement de phase. Même diversité dans les formes de redistribution, et surtout dans le degré de complexité des circuits, dont le plus simple est le mur Trombe (cf. « Climatisation », in Universalia 1977), les plus complexes pouvant comporter des échangeurs, des relais, des pompes à chaleur. De manière générale, on appelle actifs ceux qui recourent à des circulateurs mécaniques, et passifs ceux où la circulation des fluides s’opère par des moyens naturels (thermosiphon, convection).
Mais une réalisation d’architecture solaire ne se définit pas seulement par le choix de son système. La position des éléments, d’abord, définit de nouvelles possibilités de variantes : il existe des insolateurs-toits (maisons du M.I.T. aux États-Unis, en France l’école de Séez), des insolateurs-murs (maisons Trombe-Michel), d’autres intermédiaires (pavillons de Blagnac), en attique, en talus, en ébrasement ; d’autres sont inclus dans des volumes captants spécifiques, et l’on se dégage de plus en plus, sans nuire aux rendements thermiques, de la rigidité des premiers prototypes (diversification des angles possibles de captage, en hauteur et en azimut, réduction des surfaces, consécutive à la progression du stockage). Les stockages peuvent avoir eux aussi une incidence sur la conception du volume de l’habitat, qu’ils s’intègrent aux murs, au sol, ou qu’ils occupent une position éminente, au centre de la maison, comme un foyer traditionnel.
Les tendances actuelles les plus notables consistent à combiner les moyens héliotechniques avec une conception bioclimatique globale de l’habitat, d’où une plus grande richesse des espaces et volumes, et à traiter plutôt des ensembles collectifs que des habitations isolées, d’où l’établissement de stockages communs qui favorisent l’autonomie (stockages dits intersaisonniers) et offrent des possibilités architecturales élargies (traitement spatial global des ensembles).
On citera comme exemples de ces programmes : l’immeuble Plenar à Zurich, le projet de collectif de Blagnac en France.
Dans les pays en voie de développement, le soleil est déjà intégré à l’habitat dans des opérations d’hydraulique rurale (pompes solaires et insolateurs-toits Sofretès) ; il y a aujourd’hui une importante demande pour la climatisation domestique solaire, qui devrait conduire à un nouvel habitat réellement tropical. À la faveur de ces exemples, soulignons deux points essentiels :
Le premier, c’est que l’architecture solaire ne se réduit pas à un ajout de matériels mais implique une innovation spatiale.
Le second, c’est la possibilité de recréer, par la diversité des systèmes et des formes, une différenciation en fonction des climats, ce qui est proprement la résurrection de la notion d’habitat vernaculaire.
Quel avenir immédiat peut espérer l’architecture solaire ? L’affinement des stratégies et la progression des matériaux et des systèmes permettent de prévoir à court terme l’effondrement des blocages économiques à sa diffusion. Resteront, bien sûr, les blocages d’ordre politique et sociologique. Si les organismes de recherche se multiplient, y compris à l’échelle nationale (création, en été 1978, d’un commissariat à l’Énergie solaire), et si le public montre un vif intérêt, bien des problèmes juridiques ou professionnels risquent de la freiner. Ce qui nous ramène au problème général de l’environnement et du cadre de vie.